Villes innovantes : qu’attendre du mariage villes + technologies ?

L’impact de l’innovation sur les métropoles, l’identité des villes du sud des États-Unis, et celle des Beyrouthins alors que le secteur privé français ne donne pas l’exemple… une sélection de l’actualité des mutations urbaines.

Mélanger innovations et villes permet de multiplier les effets des deux explique sur Medium (en anglais) Eric Jaffe, directeur éditorial de Sidewalk Labs, l’entreprise de Google spécialisée dans l’innovation urbaine. Il entend ainsi répondre á un livre récent de l’économiste Richard Gordon intitulé The Rise and Fall of American Growth. Le bruit que fait ce pavé de 784 pages semble proportionnel à son poids. Un des arguments centraux étant que les TIC n’ont pas l’impact qu’on croit trop souvent sur la productivité. Vieille rengaine toujours utile contre ce qu’il est convenu t’appeler le « techno-optimisme ».

Le prix Nobel Paul Krugman lui trouve beaucoup de mérites et reconnaît qu’il y a eu bien plus de changements dans la vie d’un citadin américain entre 1870 et 1940 qu’entre 1940 et 2010, une des thèses clés de Gordon.

Mais Jaffe introduit un angle intéressant. L’industrialisation s’est faite – aux États-Unis – au moment de la croissance des villes. Elle a bénéficié de leur dynamisme et de l’aide presque illimitée de l’État. Aujourd’hui il n’y a plus d’argent et les villes, déjà for peutplées, se développent moins vite. Elles n’ont pas encore vraiment intégré la révolution digitale. Pour y arriver les secteurs publics et privés doivent trouver de nouvelles façons de coopérer. Ce qu’ils ne font pas, comme le montre, selon Jaffe, le manque de coopération dans l’utilisation des données fournies par les téléphones cellulaires. Leur analyse pourrait permettre une mobilité largement plus fluide. Mais, pour le moment, chacun garde jalousement sa petite mine d’or. Que les villes n’aient pas encore pleinement profité de la transition digitale, s’explique moins, selon Jaffe, par les insuffisances des technologies que par « l’absence d’une vision intégrée des technologies urbaines (urban-tech) » par toutes les parties prenantes.

Un joli sujet de réflexion pour l’avenir des métropoles bénéficiant du label French Tech.

Ça bouge dans les villes du sud des Etats-Unis alors que les États restent bloqués. Tel est le cas – exemple parmi d’autres – de Jackson dans le Mississippi dont la municipalité refuse de hisser le drapeau de la confédération sudiste et n’a rien contre les mariages homosexuels.

Ça passe, là-bas, par des batailles sur l’héritage de la guerre civile, le salaire minimum, les immigrants, le type d’évènements culturels autorisés, etc. Autant de batailles politiques qui opposent moins les formations traditionnelles que les structures figées que sont les États aux entités mouvantes que sont les villes dont les populations et les fonctions sociales évoluent plus vite. Pas seulement outre Atlantique.

L’identité des Beyrouthins est officiellement, implacablement et sans la moindre nuance possible, définie par la religion de leur famille (les athées, bien entendu, ne sauraient exister). Cela vaut aussi bien pour les chiites que pour les sunnites ou les chrétiens. Même les partis sont essentiellement communautaires.

Dans un tel contexte, les élections municipales du dimanche 8 mai resteront (indépendamment du résultat qui ne lui est pas favorable) comme celles de l’émergence d’une nouvelle liste reposant sur l’hypothèse d’une identité urbaine : Beirut Madinati (Beyrouth est ma ville).

C’était la première fois qu’un groupe non partisan proposait une liste complète (24 membres au total, représentants de la « société civile » tendance artistes, intellectuels et activistes). Une des personnalités les plus visibles est Nadine Labaki, réalisatrice du fabuleux film Caramel.

Ils disaient vouloir représenter les habitants de la ville plutôt que les formations politiques traditionnelles, mais n’ont pas su convaincre face aux machines de ces derniers et aux identités communautaires bien ancrées. Lors d’un meeting Labaki avait déclaré « Si, comme moi, vous êtes en colère, oubliez le parti, oubliez la secte, aujourd’hui, Libanais, vous êtes des enfants de Beyrouth ». L’appel à une identité urbaine n’a pas été suffisant contre les appartenances de toujours. Pas encore. Il faut bien commencer…

Le secteur privé ne donne pas l’exemple… en France du moins. C’est ce que révèle le tout récent sondage IPSOS-CESI-Le Figaro sur la transition digitale rendu public le 9 mai. On y apprend qu’à peine 52% des salariés estiment qu’il s’agit d’un sujet « stratégique » (21%) ou « essentiel » (31%).

Même les chefs d’entreprise sont encore divisés « pour 47% d’entre eux, le numérique constitue un simple phénomène de mode ». Ils sont majoritaires dans certains secteurs comme le BTP et les TPE.

Comment s’étonner dans un tel climat que les villes aient du mal à définir une vraie stratégie autonome face aux TIC que les grosses boîtes leurs proposent sous forme de solutions clés en main alors que trop peu de citoyens en mesurent les avantages et les inconvénients ? Nous en sommes encore au « oui » ou « non » alors que l’heure est, depuis longtemps déjà, à débattre du « comment ».

Photo Wikipedia (Usine Ford de River Rouge à Dearborn dans le Michigan, près de Detroit – Domain public, 1941)

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 10 mai 2016.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...