Sécurité contre mobilité : quelques exemples

Il est possible qu’on ne puisse pas améliorer la sécurité des villes pour faire face aux menaces terroristes sans ralentir les flux. Cela porterait atteinte autant à la dynamique économique qu’à l’équilibre social.

L’Europe réagit aux attentats en prenant des mesures qui ont le plus souvent pour effet de ralentir la mobilité. Voici quelques exemples :

  • En prenant le train à Barcelone pour Montpellier deux heures après avoir terminé mon billet sur les « La mobilité en danger » j’ai du, comme chaque fois, faire passer tous mes bagages dans une machine à rayons X. L’Espagne a connu les attentats de l’ETA basque et ceux, commis par Al-Qaïda, qui ont fait près de deux cents morts et 1900 blessés dans les transports publics de Madrid en 2004.
  • En décembre dernier, la France a installé des portiques de sécurité Gare du Nord et à Lille Europe. L’extension du dispositif est envisagée, ainsi quel’installation de postes de filtrage à l’entrée des gares, au risque, remarquent certains, de créer des attroupements qui pourraient être, à leur tour des cibles tentantes.
  • Le Monde faisait remarquer en août 2015, après la tentative d’attentat dans le Thalys, que « transformer les gares en aéroports » coûterait cher et conduirait à demander aux passagers d’arriver une heure avant. « Autrement dit, le trajet Lille-Paris ou Paris-Tours passerait d’une heure à deux. Deux heures, la durée du déplacement dans les années 1980, avant le TGV : tout le bénéfice de la ligne à grande vitesse évaporé ».
  • Le jour même des attentats de Bruxelles, le Journal Officiel a publié la « LOI n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs ». Ces modifications du code des transports permettent « des contrôles et des vérifications » ainsi que « l’inspection visuelle des bagages ou leur fouille ».
  • Bernard Squarcini, qui a exercé les fonctions de directeur du renseignement intérieur français de 2008 á 2012, vient de déclarer qu’il allait falloir réviser les contrôles de sécurité dans les aéroports en les étendant aux zones d’enregistrement.

La première victime de la sécurité est donc bien la mobilité.

Face à une telle alternative, le premier point est de déterminer quels flux on prend le risque de ralentir (même si l’on sait que rien de ce qui est liquide n’obéit parfaitement). C’est ce que montrent deux exemples pris en Israël.

  • Parmi les multiples moyens qui permettent d’assurer un niveau élevé de sécurité dans les villes, la construction d’un mur joue un rôle considérable. Son premier effet est, bien entendu, de limiter considérablement la mobilité des Palestiniens.
  • La sécurité de l’aéroport de Tel Aviv – point de passage essentiel pour les Israéliens dans leurs relations avec le monde – est abordée différemment. « L’aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv est réputé être le plus sécurisé au monde », vient d’écrire un correspondant du Monde. « Des gardes de sécurité privée surveillent toutes les entrées et n’hésitent pas à interroger les passagers. Des caméras de surveillance sont installées sur tout le parcours du voyageur. Des agents du renseignement, habillés en civil, patrouillent aussi ». On fait bien attention de ralentir la mobilité le moins possible.

Paradoxe :une mobilité accrue peut renforcer la sécurité d’une ville.

  • C’est ce que montre le cas de Medellín, en Colombie. Ville natale de Pablo Escobar, patron du plus grand réseau de trafiquants de drogue du moment, elle était en 1991, la capitale mondiale du crime avec 6.349 assassinats perpétrés en un an. Un taux de 380 assassinats pour 100.000 personne qui équivaudrait dans le Grand Paris d’aujourd’hui à 45.600 personnes tuées.
  • Or Medellín a été sacrée en 2013 par le Wall Street Journal « ville la plus innovante du monde » devant New York et Tel Aviv. La criminalité y a été réduite de 95% grâce, notamment, à une série de mesures dont le désenclavement des quartiers périphériques les plus dangereux et l’installation de téléphériques et d’escaliers mécaniques accroissant la mobilité entre les bidonvilles et le centre.
  • Le maire de Johannesburg a recours à une politique comparable pour lutter contre la ségrégation en multipliant les artères bien connectées et les systèmes de bus rapides.

Ces exemples fragmentaires ne visent en aucune façon à épuiser le problème. Ils ont pour simple objectif d’inviter à quelques réflexions. Par exemple :

  • En Europe, les attentats terroristes récents visent souvent les moyens de transports (Madrid en 2004, Londres en 2005, Bruxelles en 2016 pour ne mentionner que les plus graves).
  • Renforcer la sécurité est indispensable (il n’est pas possible de la garantir), mais la plupart des mesures prises dans ce sens ont un impact direct et immédiat sur la mobilité.
  • La mobilité est essentielle à la dynamique économique. Elle peut contribuer à réduire les inégalités et à augmenter la sécurité.

Il n’y a pas de réponse simple aux attentats en termes de sécurité mais, presque toutes ont un impact sur la mobilité. Le minimum que nous puissions faire c’est de ne pas aborder une dimension du problème sans prendre l’autre en compte. Et de le dire.

Photo AFP TV.

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 25 mars 2016.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...