Allons-nous boire l’eau des égouts ?

L’eau se fait si rare qu’on essaye récupérer celle dont on dispose, de la traiter et de la remettre en circulation. Ça va du dessalement de l’eau de mer à la collecte des pluies en passant par la récupération et le traitement des « eaux usées », euphémisme francophone pour parler de ce que les Américains appellent « eaux gâchées » ou « eaux de déchets » (wastewater). Mais qu’en faire après coup : s’en servir pour l’agriculture (ce qui intéresse peu les villes) ou la transformer en eau potable (ce qui devient un problème – ou une solution – pour tous les citadins) ? La pratique se répand.

En boire ou pas ? C’est en me posant cette question que je viens de visiter Shafdan, la plus grande station d’épuration d’eaux sales d’Israël et la plus avancée de la région.

De quelle eau s’agit-il ? de celle qui sort des douches, lavabos, éviers et autres toilettes des villes du coin à laquelle s’ajoutent les eaux rejetées par les différents types d’industries locales. Selon Meir Ben Noon, chargé des visites du centre, 99,8% de ce qui sort des égouts est effectivement de l’eau. Le plus gros problème provient des ordures qu’elles trimballent : 40 tonnes (dont 30 de lingettes) sont récupérées chaque jour dans les tuyaux. On y trouve parfois de l’or voir des téléphones cellulaires et, une fois au moins, une bicyclette.

Tous les solides sont retirés au bout de quelques heures. Les boues sont transformées en engrais organiques et données gratuitement aux agriculteurs de la région

L’usine de Sefdan occupe 200 ha et fonctionne avec 50 employés. Tout est géré par ordinateurs qui contrôlent vannes, machines et filtres. Le nettoyage est confié á des processus biologiques avant réinsertion dans le sol. Le gros avantage de tout cela étant, pour Ben Noon, que « ça ne requiert ni salaires ni retraites ». Il ajoute que son pays « est leader mondial en matière de récupération des eaux usées. 85% de l’eau des égouts est recueillie et purifiée. En deuxième position Singapour est loin derrière, suivi de l’Espagne, troisième avec 27% », qui pourrait bientôt être dépassée par la Jordanie.

Israël n’est pas seule sur ce chemin. Les touristes qui s’aventurent jusqu’en Australie doivent savoir qu’ils ont « peut-être bu de l’eau recyclée ». Qu’ils se rassurent, l’ONG locale Choice estime que « les problèmes pouvant provenir de [ce type d’eau] ne tiennent ni à la faisabilité technologique ni à la science qui ont fait leurs preuves. Le point d’achoppement est l’acceptation par la communauté et la confiance dans les autorités ». Pour le moment, l’eau retraitée (en provenance, essentiellement, des eaux de pluie récupérées) est d’abord redirigée vers l’irrigation et l’usage industriel.

Ailleurs dans le monde l’eau des égouts est utilisée comme eau potable dans différents contés américains comme Orange en Californie, Scottsdale en Arizona, ou à Windhoek, capitale de la Namibie, Londres et surtout à Singapour.

Soucieuse de trouver une formule capable d’apaiser la population, cette ville-État du sud-est asiatique a choisi le nom de NEWater pour désigner les eaux qui ne sont plus nouvelles mais qu’un ensemble de technologies avancées a permis de transformer en « eaux de qualité potable ». Elle couvre ainsi 35% de ses besoins avec pour objectif d’atteindre 80% en 2060 (pour mieux négocier avec la Malaisie qui lui fournit une bonne partie de son eau dans le cadre d’un accord qui expire en 2061) explique George Madhavan de la Public Utility Boards (PUB).

Pour résoudre les problèmes dus au manque d’eau les Israéliens ont recours à trois solutions : les économies, la désalinisation et la purification des eaux usées. L’objectif est, comme dans toutes les entreprises de ce genre, de réduire la contamination par les eaux sales et de les réutiliser le mieux possible.

Pour la boire ?

« Nous n’en buvons pas cette eau mais nous pourrions » réponds Ben Noor en nous montrant des bouteilles dont une seule est remplie d’un liquide saumâtre. Il ajoute : « 1000 bouteilles d’eau provenant des égouts deviennent 1.000 bouteilles d’eau buvable ». Mais, malgré tous les grands mots, cette eau est utilisée pour l’agriculture. « C’est Mekorot, l’autorité de l’eau qui a décidé de l’utiliser pour irriguer le désert du Néguev », explique-t-il.

Répétée à l’envie sur bien des sites et dans de multiples présentations, la phrase à laquelle il faut faire attention semble être : « eau de qualité buvable » (drinkable quality water), ce qui ne donne pas l’impression d’être exactement la même chose qu’eau potable. La technologie, celle de Shafdan en tous cas, est impressionnante. Le résultat semble convaincant et nous serons sans doute un jour contraints de boire de cette eau. Mais reconnaissons qu’en l’envoyant à l’agriculture tout en disant qu’elle est buvable ils invitent au doute. Ceci dit, nous ferions bien, en France, d’apprendre tout le bien qu’elle peut faire dans l’agriculture… en attendant qu’elle gagne les villes.

Photo Francis Pisani / CC-BY-SA-3.0 (Vue d’un « clarificateur secondaire », réservoir circulaire à fond concave équipé de larges râteaux, dans l’usine de traitement des eaux usées à Shafdan (Israël). Les bactéries des eaux traitées se déposent sur le fond. Les boues sont raclées vers le centre pour être pompées dans des réacteurs biologiques où elles subiront une séparation supplémentaire.)

Une version de ce billet a été publiée le 9 février 2016 sur le site du Monde.fr.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...