Intérêt des voitures autonomes et bêtise des services de relations publiques

J’ai eu la chance de croiser par hasard un jeune ingénieur assez ouvert et intelligent pour m’expliquer en termes simples et clairs le bénéfice que la société peut tirer des voitures intelligentes. Mais toutes les pendules de l’entreprise pour laquelle il travaille ne sont pas réglées à la même heure.

Tout commence dans le train qui me conduisait le 6 octobre au Congrès mondial des Systèmes de transports intelligents. Nous sommes assis face à face sans personne autour de nous. Il ouvre son ordinateur sur lequel je peux voir un sticker de startup que je ne connais pas. La piste m’est donnée moins par le nom, en anglais, que par l’existence d’un chiffre en son milieu. Je cherche sur mon téléphone, vois que l’entreprise en question développe des véhicules autonomes et décide de lui montrer en lui demandant s’il s’agit bien de sa boîte.

Sourire timide. Réponse positive. Nous engageons la conversation. Tout doucement d’abord et plus vite après que je lui ai précisé que je suis journaliste, que je ne cherche pas à lui soutirer quoi que ce soit mais que cela m’intéresse vraiment de comprendre les enjeux de fond, pourquoi il croit que son travail vaut la peine.

Voici l’essentiel de sa réponse :

  • Premier point les véhicules autonomes existent. Les professionnels reconnaissent même différents niveaux (1,2,3,4,5) qui impliquent des complexités et des capacités croissantes.
  • Il y a des prototypes dans plusieurs pays. Une des difficultés pour aller plus loin est la dimension légale. Les textes européens spécifient qu’un conducteur doit être à tout moment au contrôle de sa voiture.
  • Depuis les chalenges lancés par l’agence de recherche du Pentagone dans les déserts du sud-est américain entre 2004 et 2007 on sait que c’est possible. Aujourd’hui, la difficulté consiste à passer à une production industrielle économiquement acceptable.
  • Plus que d’une technologie précise il s’agit d’un ensemble de technologies qui se chevauchent partiellement et se renforcent l’une l’autre. On a par exemple radars, lasers, caméras et intelligence artificielle pour gérer l’ensemble. Un des avantages d’une telle approche est qu’en cas de panne d’un des systèmes on doit pouvoir passer rapidement à un autre, au moins pour quelques secondes.
  • La question de la sécurité est essentielle et celle qu’apportent les humains n’est pas parfaite. Les machines peuvent avoir plusieurs dispositifs qui prennent la main en cas de problème.
  • Il est important de comprendre que nous avançons par étapes vers les véhicules autonomes avec, par exemple, le fait de pouvoir lever le pied sans lever les mains, puis les mains pour quelques secondes, puis d’arrêter de regarder la route. Un autre exemple est la navigation autonome sur autoroute, différente de la navigation en ville infiniment plus complexe. Cette dernière n’est pas pour demain.
  • Les éléments limités seront sur le marché très vite. Les changements majeurs mettront beaucoup plus longtemps à venir. Deux ou trois décennies, peut-être plus.

Mais « à quoi ça sert » ? lui ai-je demandé.

  • D’abord c’est plus confortable, moins stressant, par exemple dans la gestion des bouchons sur autoroute. On peut faire quelques petites choses à côté tout en faisant attention. A condition d’être vraiment sécurisé. Quand ça le deviendra, ça permettra aussi de réduire les accidents.
  • Ils doivent aussi permettre des économies d’énergie. Dans les embouteillages par exemple, en assurant des démarrages et des freinages plus en douceur.
  • Il viendra un moment où on pourra descendre de sa voiture et la laisser aller se garer seule ce qui pose, au bout du compte, la question de la propriété. Pourquoi posséder une voiture si on peut en avoir une à tout moment en la e-hélant depuis son téléphone. Pas besoin de taxis. Bus et métros prendront une autre place.

Nous arrêtons. Je décide, à chaud, de prendre des notes, lui dit que j’aimerais en faire une chronique et que ça serait mieux si je pouvais citer sa société. Après m’avoir confirmé que : « Il n’y a rien de secret dans ce que je vous ai dit », il promet de demander. La réponse négative arrive 48h plus tard. Il n’a pas le droit de parler en dehors du contrôle de son service de relations publiques. Comble révélateur : les voitures de cette société semblent plus autonomes que ses ingénieurs.

Photo Wikimedia

Cet article a été publié par La Tribune le 20 octobre 2015.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...