Aborder les problèmes par les villes

L’essentiel du débat sur les villes intelligentes tourne, aujourd’hui, autour de l’utilisation du terme lui-même et de ce que cela implique. Ça ne mène pas très loin. Voyons ce qui se passe si, au lieu de qualifier et de classer les villes, nous essayions de les prendre comme angle d’attaque des principaux problèmes qui se posent à nous.

L’expression Smart City a été lancée en 2006-2008 par certaines méga compagnies qui dominent les technologies de l’information, en particulier IBM et Cisco, puis repris par d’autres, de Schneider Electrics à Huawei.

Son utilisation implique un recours massif aux TIC comme le montre, entre autre exemple, la définition donnée par le Smart City Council, composé, précisément de ces grandes compagnies : « Le conseil définit une ville intelligente comme une ville dans laquelle les technologies digitales sont intégrées à toutes les fonctions de la ville ». Elles nous sont présentées comme la martingale des problèmes urbains.

Les exemples le plus souvent cités par les partisans de cette approche ne donnent pas trop envie de les suivre, qu’il s’agisse de Masdar en Abou Dhabi ou de Songdo en Corée du sud, même si elles ne présentent pas que des inconvénients. Une ville sans déchets ni consommation d’énergie (l’objectif que s’est fixé Masdar) n’est pas négligeable.

Mais, outre qu’elle apporte moins de solutions qu’elle ne prétend le faire, une telle approche est viciée parce que poussée par des entités peu crédibles du fait même de leur intérêt direct á nous voir adopter leur offre. C’est dommage dans la mesure où cela pousse un nombre croissant de personnes à négliger le recours aux TIC comme outil pour améliorer leurs villes.

Ils ne se privent pas d’affirmer, à juste titre, que l’intelligence ne vient pas de la technologie mise dans l’infrastructure urbaine, mais de celle des citoyens. Je préfère dire qu’elle provient des deux et qu’il ne faut se priver d’aucune. Ce qui, au bout du compte, pose la délicate question du pouvoir dont disposent ces derniers, celui qu’ils prennent, qu’on leur concède ou, simplement qu’ils exercent en participant à la cocréation du design urbain et à sa cogestion.

Une des limitations de la discussion ainsi posée est qu’elle implique de décider qu’une ville est intelligente ou non, qu’il s’agit d’une qualité qu’elle aurait ou n’aurait pas alors que l’essentiel est qu’elle s’engage dans un processus. Ce qui compte, au fond, c’est que la ville devienne plus intelligente, plus vivante, plus humaine, quelques soient les outils pour y parvenir. Tous sont bons qui peuvent y contribuer.

Se limiter aux villes du monde développé permet de s’en tenir à cette approche, à condition, bien sûr, d’y ajouter les critiques qui lui sont faites. Le reste du monde, et notamment l’Afrique, nous enseigne autre chose. Les technologies de l’information et de la communication ne peuvent qu’y être un outil parmi d’autres pour réduire la gravité des problèmes du continent. Mais ce qui change c’est d’aborder ces derniers en partant des villes.

Dans un article d’opinion publié récemment par le New York Times, le professeur Seth Kaplan de l’Université John Hopkins montre que les villes africaines, et notamment Lagos, la capitale du Nigeria, fonctionnent mieux que les pays pour la simple raison qu’élus et fonctionnaires sont plus proches des problèmes des gens et plus tenus de les résoudre que les dirigeants nationaux occupés à se distribuer la manne pétrolière pour leurs bénéfices personnels. Ainsi, écrit-il, le Nigéria « est peut-être en train de nous indiquer une nouvelle stratégie grâce à laquelle les états fragiles [dans lesquels vivent la moitié de la population qui survit avec moins de 1,25 dollar par jour] commencent à réussir : que les gouvernements nationaux hyper centralisés et corrompus restituent plus de pouvoir aux villes ».

On peut pousser plus loin la logique en disant que c’est en abordant les problèmes par les villes qu’on se donne les meilleures opportunités de les résoudre. A preuve le changement climatique que nous n’avons une chance de relever que si nous l’abordons à ce niveau. Il en va de même des inégalités, de la démocratie et de bien d’autres défis. Et ça ne vaut pas que pour l’Afrique.

Photo Pixabay

Cet article a été publié par La Tribune le 31 août 2015.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...