Communauté d'innovateurs et villes intelligentes

L’influence des communautés de geeks et d’entrepreneurs sur la transformation d’une ville en ville intelligente est une des questions les plus intéressantes et les moins clairement posées. Le cas de Nairobi peut nous aider à avancer grâce au iHub, lieu phare des innovateurs de toute l’Afrique, qui vient d’y fêter ses 5 ans.

Le iHub a été lancé par l’équipe créatrice d’Ushahidi, un des logiciels africains ayant connu le plus de succès dans le monde. C’est un outil de crowdmapping conçu par une équipe locale pour permettre à tout citoyen d’indiquer sur une carte les lieux où étaient commises des fraudes électorales lors des élections de 2008. Il sert aujourd’hui dans nombre de circonstances, notamment après une catastrophe pour signaler aussi bien les lieux à problèmes que ceux où l’on peut trouver des secours.

En ayant assez de se réunir dans des cafés, l’équipe fondatrice décida de se doter d’un centre équipé de lignes à haut débit pour faciliter l’accès au net et réunir leurs copains. « Nous ne voulions pas qu’Ushahidi soit le seul succès en provenance du pays » m’avait expliqué Tosh, un des responsables, en 2011.

Espace de coworking où se croisent individus travaillant sur un projet, petites entreprises et tous les geeks et entrepreneurs du coin, le iHub compte plus de 16.000 membres (ils étaient 2000 il y a 4 ans). Il a donné lieu à la naissance de 150 startups et s’est doté d’un centre de recherche. L’immeuble dans lequel il est installé héberge d’autres initiatives dont le m:lab, incubateur pour les innovateurs en téléphonie mobile.

Ce qui compte, selon Tosh c’est « d’avoir à portée de main des individus brillants partageant les mêmes intérêts, ayant la capacité de développer des sites web, des applications mobiles ou du design de qualité. Nombre de belles choses sortent des conversations qui se tissent au hasard. L’essentiel est d’avoir directement accès aux idées qui surgissent dans cet espace collectif. »

Le lieu a bénéficié de fonds de la fondation Pierre Omidyar mais aussi du soutien du gouvernement. Mais le secret du iHub n’est pas là. « Une des clés de l’avantage compétitif du Kenya se trouve dans la connectivité (connectedness) de la communauté » vient d’écrire Erik Hersman, membre de l’équipe initiale. Dans un autre billet de son blog il explique que « ça fournit un élément fondateur pour les villes et les pays qui essayent de développer une communauté technologique plus signifiante et dynamique ».

Nairobi est aujourd’hui considérée comme la ville la plus intelligente d’Afrique. Le think tank newyorkais Intelligent Community Forum vient de la classer au 10ème rang mondial.

La bonne volonté du gouvernement et l’apport financier d’une fondation internationale ont beaucoup compté. Mais le cœur du succès du iHub en reste la communauté connectée. Selon Hersman, « ça aide d’avoir un espace digital centralisé ou poser des questions, émettre des opinions et trouver des réponses. Mais nous constatons également que les espaces analogues, physiques de rencontre […] sont un autre façon d’accélérer la connectivité nécessaire à la croissance ».

Enseignement: la dynamique permettant à une ville de devenir plus intelligente tient peut-être plus encore aux startups qu’aux grosses entreprises (qui finissent toujours par s’en rapprocher comme l’ont fait, entre autres, Google et IBM à Nairobi) et comme on le constate dans une autre technopole improbable comme Recife dans le nord-est brésilien.

Allons plus loin. Le gouvernement kenyan a décidé de lancer Konza, une ville high-tech. Évalué (pour le moment) à 14 milliards de dollars, il doit réunir universités et grosses entreprises technologiques. La question est de savoir s’il marginalisera la communauté du iHub ou s’il saura lui trouver sa place. Les énormes projets de ce type, comme Skolkovo prés de Moscou, font bien dans les plans à long terme d’un gouvernement mais n’arrivent jamais à créer la vraie « connectivité communautaire » dont parle Hersman. Les gouvernements peuvent aider les communautés innovantes indispensables aux villes intelligentes. Ils peuvent aussi les tuer.

Photo Flickr

Cet article a été publié par La Tribune le 10 mars 2015.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...