Foot et innovation

Rien de mieux pour comprendre ce qui est arrivé à l’Espagne lors de ce mondial,

mais aussi à l’Italie en 2010, à la France en 2002 et au Brésil en 1966 qu’un petit tour par la théorie de l’innovation et en particulier par la notion de « dilemme de l’innovateur ».

Un article de Slate.fr en recense plusieurs explications traditionnelles. Intéressantes mais pas vraiment satisfaisantes comme le reconnaissent volontiers les auteurs.

  • A la différence de leurs prédécesseurs (Zidane pour les Français, Pelé pour les Brésiliens), ils avaient toutes leurs vedettes.
  • L’équipe n’est plus toute jeune, mais elle n’est que la huitième plus vieille avec un âge moyen de 28,2 ans.
  • Les joueurs donnaient l’impression d’en avoir assez de jouer au foot, peut-être (ajouterais-je) parce qu’ils ont gagné trop d’argent.
  • Leur technique a été abondamment scrutée pendant des années au cours desquelles « les prétendants à sa succession, aussi bien que les petites équipes croisant son chemin, étudient et scrutent son jeu dans les moindres détails pour en trouver la faille ».

Curieusement c’est sur Slate.com qu’on trouve la réponse la plus utile, celle qui veut que la Roja (l’équipe espagnole) soit tombée victime du « dilemme de l’innovateur ».

  • Les grosses boîtes qui réussissent sont souvent détrônées par de jeunes pousses ayant recours à des technologies disruptives. Fortes de leurs succès, les premières font confiance à leur modèle et ignorent l’innovation qui finira par les marginaliser.
  • Le dilemme est de prendre des risques alors qu’on réussit et qu’on satisfait ses clients avec des recettes connues. La plupart s’y refusent, comme l’a montré Clayton Christensen dans un livre du même nom et de nombreux essais.

Ironie du sort, la semaine où la Roja s’est faite éliminer dès le premier tour, Jill Lepore, qui enseigne (comme Chirstensen) à Harvard, a sorti un essai dans le NewYorker tentant d’invalider la théorie du maître. Une bonne façon de se faire de la pub, et une discussion salutaire.

  • Elle y estime, à juste titre, que le terme « innovation disruptive » est tant utilisé qu’il a perdu beaucoup de son sens.
  • Elle y démontre que les exemples sur lesquels Christensen s’appuie sont moins solides qu’on ne pourrait croire.
  • Elle souligne que remplacer la notion de « progrès » par celle « d’innovation » évite de se demander si « ce qui est nouveau est une amélioration ».
  • Mais elle est bien obligée de reconnaître, que si « elle n’est rien de plus » la théorie de Christensen explique « pourquoi les entreprises échouent », en particulier les grosses qui ont réussi.

C’est bien pour cela que l’article de Slate.com vaut la peine d’être lu. Vicente del Bosque, l’entraîneur espagnol, n’a pas pris le risque de remettre en cause la méthode qui a fait ses preuves et satisfait son public (le fameux tiki-taka). Il était bien confronté au dilemme de l’innovateur.

Voilà une fable à laquelle devraient réfléchir les grosses entreprises qui dominent leur marché. Si la théorie de l’innovation les ennuie, que le Mondial les éclaire.

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Crédit photo : Andrés Nieto Porras/Flickr/CC

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...