Tu veux nous parler aujourd’hui d’un développeur que tu as rencontré la semaine dernière à New York. De qui s’agit-il?
Il s’agit de Daniel Latorre. Un vieux de la vieille qui se trouvait à à l’Université de Minnesota au moment où y est né Mosaic (le premier navigateur important) et n’a jamais cessé depuis de se consacrer au développement de logiciels.
Mais les évènements du 11 septembre 2001 l’ont fait s’intéresser à la société civile « le dernier secteur, le dernier silo – avec les municipalités – à embrasser pleinement les médias digitaux », m’a-t-il dit. C’est alors qu’il a décidé de se consacrer à les aider à faire la transition.
Quelques années plus tard, alors qu’il travaillait au tracé des pistes cyclables pour New York, il s’est rendu compte que « le design urbain est l’interface de la ville ». Ce qui permet à ses habitants de s’y retrouver, d’en tirer parti. « C’est particulièrement vrai avec le mobile. Tout le monde peut l’utiliser pour modifier l’interface. »
L’étape d’après lui a permis de comprendre que, je cite « les villes conçues autour des voitures ont, aujourd’hui, un mauvais design. Nous avons besoin d’une nouvelle interface. »
Que pouvait-il faire pour résoudre ce problème crucial?
Il s’est mis à aider les activistes pro bicyclettes volontiers réticents face aux médias digitaux. Pour les convaincre il a lancé un projet de carte digitale sur laquelle les new yorkais étaient invités à indiquer où ils souhaitaient voir installés les stations pour vélibs locaux.
Mais, dans la ville comme ailleurs, la technologie n’est qu’un outil et il s’est très vite heurté au concept de smart city qui, je le cite : « correspond le plus souvent à une philosophie technocratique néolibérale dont la crise de 2008 révèle qu’elle est le problème » Il a ensuite observé un silence avant de reprendre. « Je dois nuancer. Nous avons besoin d’infrastructures mais la question est de savoir qui va en bénéficier, si le système est transparent. Or les smart cities sont orientées vers le contrôle. »
Le personnage lui même est assez curieux. Mi colombien, mi norvégien, Latorre est un pur produit de New York où il est arrivé quand il avait cinq ans. Il s’apprête maintenant à lancer son propre cabinet WiseCity.org, ce qui veut dire la cité sage pour aider les gens à « passer des villes intelligentes aux villes sages connectées ».
Les villes sages connectées, voilà un concept intéressant. Comment compte-t-il y parvenir?
Son outil principal, pour y parvenir, est la cartographie sociale (crowdsourced mapping) créée avec le logiciel open source kenyan Ushahidi. « Quelque soit le projet – création d’un parc, design ou amélioration d’une rue, entre autres – ça permet aux gens de mettre leurs idées sur une carte, » explique-t-il.
« Ça agit comme logiciel social en connectant les gens qui prennent conscience de l’existence des autres à mesure qu’ils s’en servent. Ils ignorent tout de leurs voisins et les mécanismes de participations leur permettent de se trouver. »
Mais pour que ça marche vraiment il est indispensable d’utiliser les images satellitaires plutôt que les cartes abstraites traditionnelles : « il y a, selon lui, un aspect concret très puissant dans la cartographie : ça permet de voir où il y a des zones vertes et où elles font défaut et c’est plus amusant. »
Les gens redécouvrent leurs villes, les administrateurs prennent connaissance des détails des zones sous leur responsabilité. « Les cartes digitales permettent aux différents agents d’avoir littéralement un terrain de rencontre virtuel de la même manière qu’une place publique est un espace où les gens se trouvent. »
Autant de mécanismes, ajoute-t-il, qui sont absents « de la rhétorique des villes intelligentes ».
Et tout ça se met en place sans le moindre problème? Tu veux nous faire croire aux miracles
Le bilan de ses premières expériences semble positif mais Latorre se sent déjà confronté à une autre difficulté : « Comment donner de la continuité à ce travail ? » L’énergie se dissipe vite.
Sa réponse instinctive consiste – comme dans le développement agile des logiciels – à remplacer les grands projets espacés par de multiples micro-projets, plus fluides, mis à jour de façon ininterrompue. Mais ce geek sait bien que « le logiciel n’est que 20% du processus. Le gros morceau correspond au travail d’organisation communautaire local ».
La question devient ainsi « jusqu’où pouvons nous être techniques et pour qui ? Si nous ne trouvons pas la réponse d’autres la trouveront ? »
Face aux smart cities qu’il considère comme des opérations des grosses boîtes de technologies adoptées par les municipalités soucieuses d’augmenter le contrôle de leurs citoyens David Latorre propose un mécanisme bottom-up dont l’arme principale est constituée par les cartes sociales.
Le message que j’en ai retiré : la technologie va jouer un rôle croissant dans le design des villes. Différentes visions et différents outils s’opposent. Ils ne sont pas incompatibles mais il est essentiel de savoir ceux que l’on choisit et pourquoi. Il en va de la qualité de votre vie dans votre ville.
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Crédit photo : CC/Frédéric Bisson