Éditeurs et taxis, même combat

Mon rapport à nos respectables éditeurs et aux peu populaires chauffeurs de taxi tend à être le même. Il est fait d’horribles frustrations et de colères simples chaque fois que je me heurte à leurs manipulations pour bloquer les temps qui changent, pour ne pas dire l’innovation.

En arrivant à Orly cette semaine j’ai du laisser passer près d’une dizaine de voitures (dont l’un d’une grande compagnie) qui n’avaient pas (ou disaient ne pas avoir) la petite machine me permettant de payer par carte. Pas vraiment une technologie de pointe.

Même problème à mon arrivée précédente. Mais la réponse de celui qui m’avait pris, et devant lequel je m’étonnais que ce soit si difficile dans un pays moyennement développé comme le nôtre, m’avait suffoqué : « Ça ne nous arrange pas. C’est un service pour le client. » Bel exemple d’une certaine impénétrable logique commerçante parisienne bien connue des touristes.

Celui qui m’a enfin pris cette semaine m’a rappelé que le dispositif coûtait une somme non-négligeable aux artisans chauffeurs. Avant d’ajouter que la demande pour payer en carte n’est pas grande.

C’est là que j’ai pensé aux éditeurs qui font tout pour nous convaincre que les gens n’ont pas envie de lire des livres électroniques : ils préfèrent le papier ! Pas si simple. Le nombre et la variété des livres en français accessibles au format électronique est ridicule. Ainsi que leur prix.

C’est là que se situe la manip des deux professions organisées :

  • Elles invoquent (outre les arguments économiques) un manque de demande pour ne pas adopter des technolofies ordinaires (je ne parle pas de modernisation).
  • Elles transforment le problème de la mise à jour en celui de la poule et de l’œuf : qui doit commencer du client ou du commerçant ?
  • Elles ignorent ou font souverainement d’ignorer que la facilité d’accès à un service alimente son utilisation.
  • Elles poussent toutes deux à la même attitude : ne plus chercher de livres en français récents (parce que trop chers) ni plus tous jeunes (parce que non digitalisés) et de jamais essayer de payer un taxi avec une carte.

Il s’agit là de deux exemples – très rapidement évoqués – des freins sociétaux à l’innovation si forts en France. Ils s’abreuvent des freins culturels, comme le goût pour la préservation du connu et des avantages acquis, la peur du risque, ou la difficulté d’accepter l’échec. Ils s’ajoutent aux archaïsmes législatifs, réglementaires et autres.

Leur force spécifique est qu’ils permettent de transformer la dimension sociétale de la résistance à l’innovation en force politique en se donnant les moyens d’influencer les politiques.

Un exemple ? La pression des représentants des taxis pour freiner l’essor des compagnies de voiture de tourisme avec chauffeur et l’imposition (sauf en cas d’abonnement) d’un délai de 15 minutes avant l’arrivée du véhicule. « Formule de juste milieu » gérée par le gouvernement. Promesses de nouvelles manifestations de taxis. C’est pas comme ça qu’on fait bouger le schmilblick.

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Crédit photo : CC/Error Tribune

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...