A Cornellà, le travail s'invente

« Et si… » (traduction libre du fameux What if ? américain dont sont sorties tant d’innovations) nous nous trompions quand nous appelons sur tous les toits à créer des entreprises en France ? Entendons-nous : il en faut et on n’en créera jamais assez. Mais en répétant cette conviction anglo-saxonne nous nous empêchons peut-être d’atteindre des couches essentielles. Des réticences face à l’entreprise n’excluent pas la volonté, la capacité de créer son propre travail.

C’est à Barcelone ou, pour être plus précis, dans la ville voisine de Cornellà, que je l’ai compris, en visitant le Citilab, laboratoire pour la ville de demain. Le projet a commencé en 2002 et la vieille usine de briques rouges totalement remodelée dans laquelle il est installé a été inaugurée en 2007.

On y aide sportifs, musiciens et gamers à mieux utiliser les TIC. Le FamilyLab forme les gamins et leurs grands parents, sans oublier les chômeurs que les moniteurs aident à perdre la peur de l’ordinateur en créant des CV virtuels plus faciles à distribuer et à faire circuler. Sur les ordinateurs du Telecentro tout le monde peut venir consulter, surfer, tchater, faire ses devoirs ou les recherches qui s’imposent. 6 500 inscrits payent 3€ par an pour cet accès.

Le cœur innovant se trouve au LaborLab, entièrement consacré à l’emploi. On n’y aide pas à en trouver mais à en créer. Dans ce modèle, explique le site de CitiLab « personne n’a besoin que quelqu’un lui donne un travail. Tous ceux qui participent apprennent à partager compétences et connaissances et à créer des projets originaux et attractifs ».

Voilà le mot clé : « projet ». Ceux qui viennent les montent un à un et apprennent à les vendre. Ils avancent pas à pas. Aucun besoin d’être exhaustif. « Nous leur disons d’inventer leur travail en montant des projets, pas des business plan », m’a expliqué la directrice Roser Santamaria.

Ça n’a l’air de rien mais c’est peut-être un saut conceptuel dont une bonne partie de l’Europe gagnerait à s’inspirer. Le contexte social y est pour beaucoup. Cornellà est le bastion des socialistes catalans et tire sa force d’une tradition ouvrière ancestrale elle même issue d’une longue histoire d’artisanat. Depuis le Moyen-âge, rien n’est plus mis en valeur que l’effort.

« Être sans travail est un drame » qui dépasse les besoins alimentaires m’a expliqué Artur Serra, professeur d’anthropologie et l’un des fondateurs du Citilab. On touche là au terreau culturel qu’on n’ignore qu’à ses dépens.

« Mais il faut changer le chip et se mettre à innover » ajoute Serra.

« Nous devons réinventer le travail ». On dit ça un peu partout et la réponse habituelle consiste à tout pour faire pour faciliter la création de nouvelles boîtes. Ça ne marche pas à Cornellà. « On y respecte le travail, pas l’entreprise », précise Serra. « Elle a mauvaise réputation ». Mais pour que ça marche, il est essentiel « de changer le sens du terme « travail » et de lui donner une dimension innovante, créative ». De lui redonner en fait si l’on pense à la tradition artisanale sur laquelle la Catalogne a construit une bonne partie de sa réputation depuis le Moyen-Âge.

La municipalité elle-même s’est rendue compte qu’elle n’allait nulle part avec la seule création d’entreprises et soutien maintenant cette approche différente. « Nous aidons ceux qui viennent à créer des projets, à les développer, à les vendre, » explique Serra. « Il s’agit d’extraire l’essence de ce qui fait la qualité de l’ingénieur ou du professionnel – le projet – et de le généraliser à l’ensemble de la population ».

Trois leçons:

  1. il faut créoliser les modèles venus d’ailleurs si l’on veut qu’ils réussissent;
  2. la lutte pour la préservation de ce à quoi on tient vaut moins que sa réinvention;
  3. ou, ce qui revient presque au même, on ne combat bien ce qu’on rejette qu’en se réinventant.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...