La France n’est pas le seul pays développé détenteur d’un très grand nombre de brevets dans lequel l’innovation semble partiellement enrayée. Prenons le cas du Japon où j’ai rencontré il y a quelques mois Minoru Etoh, vice-président chargé de la recherche et du développement à NTT DoCoMo, le premier opérateur mobile du pays.

Il s’agit d’une excroissance de Nippon Telegraph and Telephone, l’ancien monopole d’État chargée de prendre en charge, dès 1991, le développement du mobile.

En 1999 elle avait lancé i-Mode, un service d’accès à l’internet et au web qui repose sur la communication de paquets. Cette innovation importante pour l’époque avait suscité beaucoup d’intérêt. Mais,en avance sur son temps elle reposait – comme le Minitel – sur une technologie insuffisamment souple.

Puis l’iPhone est arrivé. L’entreprise avait compris avant les autres l’importance du mobile et de l’accès au web mais n’a pas su s’imposer à l’extérieur. Et, aujourd’hui, le pays, qui a quelques géants comme Sony et Nintendo, a du mal à innover. Et le mal ne vient pas du manque de ressources.

NTT DoCoMo, par exemple compte sur 900 ingénieurs dans son département R&D de Tokyo et 850 à Yokosuka. Elle a des centres à Palo Alto, Beijing et Munich et dispose d’un budget confortable. Plus curieux encore à mes yeux, Etoh est, de tous les interlocuteurs rencontrés dans mon tour du monde réalisé l’an dernier, celui qui m’a donné la meilleure définition courte de l’innovation : « une nouvelle combinaison ».

Il l’a trouvée chez Schumpeter et en a fait une méthode de travail quand il demande à ses équipes d’essayer sans cesse de nouveaux assemblages des éléments dont ils disposent en interne ou débusqués grâce à leurs antennes extérieures.

Mais il se heurte à des difficultés propres aux grosses entreprises. Nous savons tous qu’elles ont du mal à produire des innovations perturbatrices parce que ça les forcerait à se remettre en question. Et le patron de NTT DoCoMo a beau dire qu’il faut être « agile » – le grand terme à la mode chez les startups du monde entier – la machine ne répond pas vraiment…

Quand je lui ai demandé qui décidait de la direction dans laquelle il fallait innover, Etoh m’a répondu « les cadres qui se trouvent juste en dessous du conseil d’administration ». D’où la question : « Et combien de temps faut-il pour que ces orientations se transforment en lignes de code activables ? » Et cette réponse insupportable dans un monde qui vit à la vitesse de l’internet : « 18 mois ! ».

Etoh est coincé. « Je ne peux pas avoir 80% d’éclaireurs en quête d’opportunités, » précise-t-il avant d’ajouter qu’un produit doit être lancé quand il est prêt à 70% sans attendre qu’il soit parfait. Sa réponse consiste donc à dire que la discipline fait avancer la plateforme et que l’agilité porte au niveau des assemblages. Un bon modèle en ce qu’il est hybride mais peut-être insuffisant en raison de trois difficultés culturelles qui paralysent le Japon.

Très répandue dans le monde l’intolérance face à l’échec est renforcée au Japon par le poids énorme des structures hiérarchiques rigides. A cela il faut ajouter que les grosses entreprises n’engagent que les jeunes au sortir de l’université sans leur laisser la possibilité d’essayer autre chose et de s’oxygéner. Plus grave encore, le Japon tend à se refermer : c’est le seul pays où j’ai eu du mal à rencontrer des interlocuteurs parlant bien anglais. Et les jeunes n’aiment pas sortir. Ils étudient de moins en moins à l’étranger.

La plupart de mes interlocuteurs m’ont parlé de crise prolongée – elle dure depuis plus de 20 ans – et de génération perdue. La grande question – et elle n’est pas propre au Japon – est donc celle de la gestion du déclin. Ce qui oblige à poser la question de l’innovation d’une façon vraiment… perturbatrice.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...