Autant le dire d’entrée de jeu, je déteste cette annexion – moins parce qu’il s’agit de Microsoft dont j’ai cessé d’avoir peur (il y a beaucoup plus dangereux maintenant) – que parce qu’il s’agit de l’absorption d’un programme que j’adore par un géant qui risque de ne pas savoir qu’en faire. Nous avons vu ça des dizaines de fois.Skype fait partie de ma vie quotidienne. Il me permet de communiquer avec mes enfants dont je peux suivre les humeurs et les états d’âme, avec ceux que j’aime et/ou avec qui je travaille. J’ai même continué une thérapie de cette façon (après l’avoir commencée de façon classique) et ça a marché.

Le risque de le voir s’anémier me fait enrager. Mais de quoi s’agit-il au fond? Des coups portés à la capacité d’innover.

Start-ups et PME à succès ont le choix entre deux voies: croître jusqu’au moment où elles peuvent entrer à Wall Street dont la raison d’être est histoire de gros sous et pas d’innovation, ou se vendre à un mastodonte qui ne sait trop faire de ses milliards… ni de la technologie qu’il acquiert.

David Pogue – pris de la même rage que moi – l’explique ainsi dans sa chronique du New York Times :  » Chaque fois qu’une corporation pataude achète une technologie populaire, je tremble. Ça ne marche presque jamais. Les dirigeants de l’entreprise qui se vend reçoivent une énorme quantité d’argent et la promesse qu’ils pourront continuer à opérer de manière indépendante, mais… au bout d’un ou deux ans le produit disparaît complètement. Une petite étoile du ciel des technologies vient de s’éteindre sans la moindre raison valable. »

Vous voulez des exemples? Les caméras Flip récemment tuées par Cisco, GeoCities et Konfabulator absorbées par Yahoo, Compuserve et Netscape par AOL, sans oublier FriendFeed par Facebook, Jotspot et Jaiku par Google.

On sait depuis The Innovator’s Dilemma (1997) de Clayton Christensen que les grandes entreprises innovent peu. Leur succès les paralyse. Elles compensent en achetant des start-ups dont elles tuent presque toujours la capacité d’innover en faisant disparaître fondateurs et ingénieurs dans des structures bureaucratiques monstrueuses.

Skype en est un parfait exemple. Sa création en 2003 a bouleversé le marché des télécoms. Rachetée par eBay en 2005 elle n’a rien fait de bon jusqu’à ce qu’elle retrouve une bonne dose d’autonomie en 2009. En 2010 par contre elle nous a donné une nouvelle version (que je n’adore pas mais c’est un autre sujet) et son trafic international a augmenté deux fois plus que toutes les entreprises de téléphonie du monde réunies.

Mais, Steve Ballmer, le patron de Microsoft a-t-il disjoncté en mettant sur la table 8,5 milliards de dollars? Pas nécessairement. Et cela ne tient pas vraiment à l’acquisition de 170 millions d’usagers réguliers dont 9 millions qui payent et une technologie qui marche (même si elle n’est pas la meilleure).

Ballmer vient de réaliser une opération de guerre (généralement plus associée à la destruction qu’à la création de valeurs). La guerre que se livrent Microsoft, Apple, Google et Facebook pour contrôler le futur du web. Steve Jobs et Mark Zuckerberg s’intéressaient à Skype. Il la leur a soufflée. Jolie victoire tactique.

Alex Wagner explique dans le Huffington Post que l’affrontement stratégique est celui qui oppose les plateformes capables de nous offrir à la fois courrier électronique, réseaux sociaux, tchat, vidéo etc. « les entreprises sont engagées dans une compétition frénétique pour ajouter des services susceptibles de créer un tissus connectif suffisant pour que les utilisateurs ne refusent à changer. » Il faut que ça colle…

On veut nous faire croire que la guerre en question est la mère de l’innovation. Elle l’est dans une certaine mesure. Mais les dommages collatéraux sont immenses et les victimes en sont les petites entreprises innovantes et nous, les utilisateurs qui les adoptons avec enthousiasme.

J’exagère?

[Photo Flickr The-CBI ]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...