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A côté des incontestables contributions des réseaux sociaux au printemps arabe, qui ne veut pas tomber dans un idéalisme lénifiant doit également prendre en compte leurs limites et même les risques que tout ceci représente.La première limitation tient à la pénétration. Pour l’internet elle est de 34% en Tunisie, de 21% en Égypte, 5,5% en Lybie, 88% au Bahreïn, 2% au Yemen et 18% en Syrie.

J’ai eu plus de mal pour les chiffres pour la téléphonie mobile (n’hésitez pas à me les signaler si vous en avez de meilleurs). La Tunisie occupait la quatrième place en Afrique avec 88% de pénétration en 2008 . L’Égypte est passée de 51% à 77% entre 2008 et 2011.

Quant aux utilisateurs de Facebook, le New York Times en comptait 5 millions en Égypte au début février 2011 et le site indépendant Al-Masry Al-Youm affirmait quelques semaines plus tard qu’un million de nouveaux membres les avait rejoint pendant le mois le plus court de l’année.

Ces chiffres nationaux ne disent pourtant pas grand chose. Ce qui compte, souligne Micah Sifry, fondateur de Personal Democracy Forum c’est la synergie entre Al Jazeera et la pénétration de la téléphonie mobile très élevée au sein de la jeunesse urbaine en situation économique difficile.

La seconde limitation (soulignée à satiété par Malcolm Gladwell) est qu’il y a une des révolutions sans internet . Les TIC ne sont donc pas indispensables. Il suffit en effet de penser 1848 en Europe ou 1979 en Amérique Centrale.

La troisième limitation tient à la fiabilité toute relative des TIC en temps de crise (naturelle ou politique). Beaucoup de victimes du tsunami qui vient de frapper le Japon se sont retrouvés avec des téléphones chargés incapables de communiquer. Les gouvernements répressifs ont, pour leur part, fermées des sites (Tunisie), bloqué des fournisseurs d’accès à l’internet (4 sur 5 en Égypte au plus haut de la crise) ou obligés les opérateurs à bloquer la communication par mobile (autour de la place Tahrir du Caire).

Quatrième limitation, s’ils se sont révélés efficaces contre les hiérarchies présidentiels, les réseaux sociaux semblent avoir plus de mal face aux tribus (ironiquement la forme d’organisation la plus ancienne) comme on peut le voir en Lybie et au Yémen.

La cinquième limitation est la plus connue grâce aux multiples interventions d’Evgeny Morozov. Les TIC, comme les fusils, peuvent être utilisés par les régimes autoritaires . Ils peuvent, comme en Syrie, y diffuser leur version des faits ou, comme au Soudan, convoquer à des manifs pour arrêter ceux qui s’y présentent.

Ils peuvent aussi externaliser la dénonciation  aux foules (crowdsource) de leurs partisans en leur demandant de repérer et de dénoncer les voix dissidentes. L’accès non contrôlé aux comptes Facebook leur permet d’y trouver toutes les informations voulues sur les contestataires et sur leurs amis. Signalons à ce propos une vidéo hilarante de The Onion pour qui Mark Zuckerberg est le meilleur agent de la CIA depuis des lustres et Facebook, l’outil le plus efficace de l’agence de renseignement américaine.

Plus au fond, il faut bien reconnaître que les réseaux sociaux contribuent fortement au printemps arabe mais qu’ils ne ne semblent pas constituer des outils de prise du pouvoir… le but de toute révolution traditionnelle. Ben Ali était plus faible que nous le croyions et Moubarak a plutôt été chassé par les militaires égyptiens (quelles que soient leurs divisions internes) qui se sont servis des manifestants pour éviter que le fils, non militaire, du dictateur ne lui succède et ne risque de mettre un terme a plus de soixante ans de système économique, politique et social contrôlé par les forces armées. Un point constamment mis en avant par Georges Friedman de Stratfor.com une entreprise spécialisée dans la géopolitique et les questions de sécurité.

Pas très enthousiasmant tout ça. Mais le fait que TIC et réseaux sociaux contribuent aux révolutions sans pour autant permettre la prise du pouvoir n’est pas pour autant la fin de cette histoire passionnante. Leur véritable apport est peut être qu’ils transforment la nature des confrontations politiques et sociales, qu’ils nous invitent à aborder la question fondamentale des changements et du pouvoir d’une façon différente.

Ce sera le sujet d’un prochain billet.

[Photo Flickr de Ramy Raoof ]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...