philippecouve.1217741879.jpgPar Philippe Couve*

Je crois que l’activité journalistique doit mieux intégrer la dimension relationnelle qui se trouve au coeur du web qu’il s’agisse des relations entre documents grâce aux liens hypertextes ou entre individus grâce aux sites type Facebook ou MySpace. C’est une nécessité en terme d’information (enrichissement par la communauté) et en termes économiques (fidélisation d’une audience « attachée » à « son » média). Mais comme le remarquent Daniel Kaplan et Hubert Guillaud, l’aspect relationnel du web ne crée pas « naturellement » de la collaboration.

Les journalistes doivent apprendre à exploiter les richesses de la communauté sur la base d’une certaine réciprocité. En échange de l’information qu’ils fournissent, ceux qui contribuent obtiennent une satisfaction personnelle (la mise en avant de leur contribution), un élargissement de leur réseau relationnel (ils peuvent entrer directement en contact avec les contributeurs au même titre que le journaliste), une amélioration de leur réputation en ligne (les sites de médias étant généralement bien référencés). Aux Etats-Unis, dans la foulée de l’expérience participative Assignment Zero, Jay Rosen a tiré quelques enseignements essentiels (ici en vidéo / signalé par Jeff Mignon sur MediaChroniques).

Plus largement, c’est tout le cycle de production de l’information qui doit être revu pour intégrer l’apport de la communauté comme l’a fort bien montré Jeff Jarvis.

Anne-Laure Marie, journaliste de RFI, a le mérite d’avoir montré dans « Pourquoi internet est-il si cher en Afrique? » que la démarche était en fait assez simple. Poser la question sur le forum de l’Atelier des médias lui a permis de recueillir des données sur les tarifs pratiqués par les différents opérateurs et des exemples des réalités locales. Elle a pu ensuite réaliser des interviews notamment avec les fournisseurs d’accès en s’appuyant sur les informations et les questionnements des internautes. Ces entretiens ont été mis à disposition dans leur version (audio) intégrale et commentés par les internautes. Et enfin, la journaliste a rédigé ses articles (1ère partie, 2ème partie, 3ème partie) qui sont toujours ouverts à la discussion et aux commentaires.

On peut tirer plusieurs enseignements de cette expérience (très imparfaite) de journalisme collaboratifs:Le journaliste doit faire preuve de discernement dans sa démarche participative. Les pêcheurs à la mouche n’ont peut-être pas grand chose à nous apporter sur les recherches de la NASA. En revanche, les retours de la communauté peuvent être extrêmement riches lorsqu’il s’agit pour les internautes de contribuer par leurs témoignages ou réflexions à un sujet qui leur est proche. Dans le cas cité, la journaliste a obtenu en l’espace de quelques jours, un relevé des tarifs d’accès à l’internet dans une dizaine de pays d’Afrique et des éléments d’information qui ont guidé son enquête.

Les outils de gestion de la participation restent à inventer. Les internautes ne disposent souvent que des commentaires pour contribuer. On pourrait imaginer des dispositifs plus sophistiqués qui permettraient de poser diverses questions (comme dans les sondages) et d’exploiter ensuite journalistiquement les données à une échelle nouvelle.

Pour cela, les médias doivent constituer des communautés très larges. Un média peut réunir des communautés différentes (autour du blog d’un journaliste, autour d’une émission, etc) au sein d’une communauté plus large à laquelle il est possible de faire appel pour des sujets d’intérêt commun.

Un média qui sera parvenu à cette agrégation de communautés disposera d’une base de données extraordinaire avec des internautes qui ne seront plus des inconnus (on connaît déjà un peu quelqu’un qui a laissé 2 ou 3 commentaires sur un site) que l’on pourra solliciter en cas de besoin. Imaginons qu’une éruption volcanique survienne dans l’est du Congo où vivent une quinzaine des membres de ma communauté. Cela me fournit autant de témoignages possibles de l’événement en cours. Il se peut même qu’ils m’alertent avant même que les agences de presse n’aient été informées.

Philippe Couve est l’animateur de l’Atelier des Médias sur RFI et de la communauté qu’il a créé sur Ning autour de cette émission (à laquelle je participe chaque semaine). Il est (lui aussi) dans le coup du blog collectif Médiachroniques. Son blog – Samsa – est ume mine de réflexions et d’infos sur l’évolution des médias. Un copain.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...