Serge Soudoplatoff

Dans le mode techno-push, ce sont les valeurs technologiques qui guident la création de produits, ou de services. Ceux-ci sont décidés par des ingénieurs qui cherchent la qualité totale ; les chaînes de création sont souvent linéaires: la R&D effectue les études préliminaires, le résultat est passé à l’ingénierie, puis à la fabrication, au marketing, et in fine à la vente. Ce modèle est insensible au temps ; le client est en bout de chaîne.

Dans le mode market-pull, le client est étudié, ausculté, analysé, dans ses grandes masses, ou dans son individualité avec l’ethno-marketing. De ces études sont déduits des tendances, des désirs plus ou moins latents, qui sont alors transformés en des produits ou services, décidés par des marketeurs qui, eux, cherchent la rapidité de mise sur le marché, et l’obtiennent au prix de la modularisation de l’entreprise. Ce modèle est insensible à l’innovation ; le client est maintenant au centre. Ce n’est guère mieux.

Internet ne s’est construit ni en techno-push, ni en market-pull, mais dans une boucle constante passant de la technologie aux usages.

Cette innovation a perfusé : le client souhaite de plus en plus faire partie du processus même de fabrication des produits ou services. La relation entre l’entreprise et le client s’oriente alors vers une expérience cognitive conjointe, où des entreprises qui possèdent des technologies ou des savoir-faire, et certains clients qui souhaitent découvrir de nouveaux usages, travaillent ensemble dans une nouvelle forme de codesign. Citons par exemple :

  • Les forums de passionnés d’automobile qui font du « tuning photoshop  ».
  • Les étudiants d’une Université au Danemark qui ont publié des recettes de bière en licence Creative Commons , et ont trouvé des brasseurs pour les réaliser, et les vendre.
  • Le simulateur de Lego factory , qui permet à toute personne de réaliser son propre lego, de recevoir la boite avec les briques correspondantes, et de le partager avec d’autres.
  • Le site de Crowdspirit qui permet à une communauté de faire le design, et de réaliser, les produits high-tech qu’elle souhaite (ce site, souvent cité au États-Unis, est réalisé par des Grenoblois).

Disparaissent deux concepts : le marketing de masse et le marketing one to one. A l’inverse, émerge une couche de passionnés, qui fait l’interface entre le grand public, et l’entreprise. Ces passionnés ont toujours existé, mais l’internet leur apporte deux éléments importants. La zone de chalandise de ces passionnés est devenue énorme : là où un bricoleur avait une dizaine d’amis, sur les forums de discussion il est lu par des dizaines de milliers de personnes. Mais surtout, l’internet les a mis en réseau, et a créé ainsi des mécanismes de renforcement d’opinions. Il permet aussi de faire bénéficier tout projet conçu dans ces conditions des idées de ceux qui ne s’y intéressent que marginalement. Toutes les contributions peuvent trouver leur place.

La nouvelle relation client passe par la constitution d’une plateforme où s’opère cette transformation toujours surprenante d’une technologie en un usage. Savoir subtilement capter cette valeur de codesign est l’élément clé de la survie d’une entreprise aujourd’hui.

Serge Soudoplatoff a vécu certaines des aventures et des expériences les plus intéressantes auxquelles on peut se livrer quand on se passionne pour les technologies de l’information. Après s’être intéressé à la cartographie à l’IGN, il a travaillé sur les langues dans des centres de recherche français et américains puis s’est lancé dans l’innovation à Cag Gemini et à France Telecom. Il a également lancé deux start-ups et monté deux associations dont Almatropie.org où il tient son blog. Mais ce que je lui envie le plus c’est d’avoir été le premier abonné de Wanadoo le 2 mai 1996…

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...