Champion des experts et défenseur de l’ordre moral, Andrew Keen (voir ces billets ) n’est pas toujours très rigoureux dans ses attaques contre les démons de web 2.0.
Ignorant les différences entre atomes et octets, il veut nous convaincre de ce que copier une chanson est un « vol » en nous assénant comme preuve qu’un café de San Francisco, serait ruiné « si seulement un consommateur sur quarante payait son capuccino ».
Il affirme que la « sélection remarquablement diverse de Tower Records [l’ancienne chaîne de magasins de disques] ne peut pas être répliquée » ignorant ainsi combien Amazon peut-être précieux hors de New York et de San Francisco. Il fait fi de la Longue traîne est de la diversité qu’elle encourage.
Il prend pour preuve des fausses nouvelles qui caractérisent le net une prétendue attaque d’Hillary Clinton qui aurait accusé Barak Obama d’avoir été islamiste. Rien de très grave, semble-t-il, jusqu’au jour où, selon lui, Fox News a repris la mauvaise information. Il dénonce le web, pas l’église qui a lancé le canard, ni le canal de télévision qui s’en sert à ses fins politiques.
Quand il prend pour preuve du fait que les foules peuvent se tromper (qui pense le contraire?) le soutien de la guerre en Iraq aux États-Unis, il se garde bien de mentionner le rôle joué par les médias traditionnels sous influence présidentielle (et des « experts ») pour les convaincre d’aller dans ce sens.
Faiblesses des médias
Son attaque contre la qualité de l’information sur le web est d’autant plus virulente qu’il ignore les faiblesses des médias traditionnels et le fait que leurs difficultés sont antérieures au web.
Il voit bien l’importance de Craigslist qui leur retire les petites annonces comme source de revenu, sans montrer que les patrons de médias l’ont superbement ignorée quand elle est apparue et ne se sont pas préoccupés à temps de trouver une réponse.
A juste titre, il s’inquiète du financement du journalisme d’investigation: « Qui trouvera les ressources nécessaires pour faire recherches et reportages sur le prochain Watergate ou pour payer les salaires des versions 2.0 de Carl Bernstein et de Bob Woodward? Ou est-ce que ce type de reportage de qualité cessera simplement d’exister? »
La principale faiblesse du livre de Keen est peut-être qu’il ne situe pas sa critique dans l’évolution sociale et économique des 50 dernières années.
Comme souvent chez les polémistes les moins solides, il écrit d’autant mieux qu’il est plus déconnecté. Ignorer les complexités du réel lui permet de laisser libre cours à sa passion. Ses attaques les plus sérieuses, par contre, pêchent par manque d’originalité et de profondeur. C’est regrettable car les menaces sur notre vie privée et l’émergence d’une société de surveillance (dont il parle) mériteraient une critique à la fois solide et passionnée.
Quelle critique?
Je n’ai pas aimé le livre moralisant d’Andrew Keen (vous en étiez-vous rendu compte?). Malgré ses précautions oratoires, son demi -humour épisodique il constitue essentiellement un appel à l’ordre moral le plus étroit, une défense d’institutions qui ont besoin de changer, une attaque contre la démocratisation par le web.
Je luis reconnais deux vertus. La première ne sert que l’auteur. En attaquant la participation de tous, en prenant la défense des médias de masse, il s’assure d’être bien traité par eux. L’astuce constitue un excellent business model.
La seconde est que la discussion ainsi lancée nous lance un vrai défi qui vaut la peine et c’est pour cela que j’ai choisi d’en parler longuement. Pour tordue qu’elle soit, sa critique nous pousse à en trouver de plus fines pour éviter que le débat ne se centre sur le rejet du web au lieu de s’en prendre aux problèmes qu’il pose, aux domaines qu’il faut améliorer, aux tendances qu’il faut combattre, aux luttes qu’il faut mener.
J’en conclue conclus, pour ma part, que nous avons sans doute intérêt à profiter du bruit que fait Keen pour mieux écouter les critiques sérieuses… et pour agir en conséquence.