Demander aux mathématiques de nous guider dans nos choix littéraires: la rencontre ne peut qu’être explosive. C’est pourtant ce qu’a décidé de faire Simon & Schuster la grande maison d’édition New Yorkaise en passant un accord avec Media Predict , un site spécialisé dans ce qu’on appelle les « marchés prévisionnels »: des sortes de bourse dans lesquelles les participants parient avec de l’argent (vrai ou faux comme nous le verrons) sur un évènement à venir (élection, Oscars, compétition sportive, etc.).

Il s’agit de résoudre un vrai problème économique: en termes généraux 90% des revenus des entreprises de médias sont générés par 10% des titres affirme Brent Stinski, fondateur de Media Predict. Tout ça parce qu’elles ne savent pas ce que les gens veulent.

« Personne ne sait rien » a pu écrire un spécialiste de Hollywood à la fin des années quatre-vingt. Personne ne sait ce qui va marcher et les décisions se prennent au pif. Ça reste vrai pour les films, comme pour les disques et les livres.

L’idée de Media Predict consiste précisément à essayer quelque chose de nouveau pour voir si on peut obtenir de meilleurs résultats.

Media Predict

Chacun d’entre nous peut s’inscrire et recevoir 5.000 faux dollars à miser sur les chances d’obtenir un contrat de projets soumis par des éditeurs ou des agents. Pour donner du piquant à l’affaire, Touchstone Books, la division de Simon & Schuster qui participe à l’expérience a d’ailleurs organisé un concours baptisé Project Publish visant à sélectionner un manuscrit pour publication. L’idée c’est de trouver pour les livres un mécanisme correspondant à ce que les focus groups font pour les produits de consommation courante.

Nombreux sont ceux qui ont dénoncé, dans les milieux littéraires newyorkais un tel système qu’ils estiment incapable de dégager des œuvres de qualité. Mais telle n’est pas la question posée. Ce qui intéresse les promoteurs de l’idée c’est d’augmenter la rentabilité de leur business en réduisant les incertitudes sur les chances de réussites des manuscrits qui leurs sont soumis.

Il se trouve que la démarche a à la fois des précédents impressionnants et des critiques fondées. Elle repose sur de nombreuses expériences et une pensée relativement élaborée.

La sagesse des foules

L’idée simple c’est qu’en réunissant la plus grande quantité possible d’informations et d’opinions provenant de sources diverses, on obtient des résultats supérieurs à ceux que peuvent fournir des experts, aussi bons soient ils. C’est une des manifestations de ce que James Surowiecki appelle « la sagesse des foules » (voir aussi ce billet ).

L’anecdote fondatrice est celle d’un groupe de 800 personnes invitées à juger du poids d’un bœuf « une fois abattu et préparé » dans une foire aux bestiaux qui s’est tenue en Angleterre en 1906. Il y avait là des bouchers, des éleveurs et des gens qui n’y connaissaient rien. Un bon échantillon de démocratie. La moyenne de leurs estimations donna 1.197 livres, alors que la bête une fois « abattue et préparée » pesait 1.198. Parfait. Beaucoup mieux que les meilleurs professionnels.[1] L’expérience a été renouvelée de multiples fois avec des résultats comparables.

Il s’agit au fond d’un « truisme mathématique » explique Surowiecki: « si on demande à un groupe de gens divers et indépendants de faire une prédiction ou d’estimer une probabilité, et qu’on tire ensuite la moyenne de ces estimations, les erreurs commises par chacun s’annuleront. »

C’est là-dessus que s’appuient les marchés prévisionnels. Leur application à la production littéraire peut choquer mais le modèle a été appliqué avec succès dans bien des disciplines comme je le rappellerai dans mon prochain billet.

A suivre donc…

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...