Gralddujardin_1 Par Gérald Dujardin

[Ce billet est le second de CaféTransnets, l’espace où vous avez la parole directement sur Transnets (voir cette première contribution, ce billet et la catégorie).
J’ai rencontré Gérald Dujardin, Directeur de recherches au CNRS, par le plus grand des hasards. Nous avons voyagé l’un à côté de l’autre entre Paris et San Francisco. Il m’a parlé de son travail sur les nanotechnologies et du fait qu’il avait envoyé au Monde un article d’explication sur la problématique. Il n’a pas reçu d’accusé de réception. Je lui ai demandé de m’envoyer le texte. Je l’ai réduit avec son accord. Le voici.
Je n’ai pas de position arrêtée sur les nanotechnologies. Je crois que les scientifiques doivent reconnaître l’existence d’une angoisse réelle dans une partie de la population. Ils doivent aussi, sans doute, réviser leur notion du risque face aux développements de ce qui, par définition, ne peut être connu. Les médias, pour leur part doivent faire la place aux arguments forts et aux doutes sérieux sans céder au sensationnalisme.
Nous avons besoin de discussions publiques sur ces sujets. Les enjeux de la science et de la technologie doivent figurer dans les vrais débats de politique et de société.]

Il est difficile d’appréhender la réalité des nanotechnologies aujourd’hui car l’essentiel des applications n’apparaîtront que dans plusieurs dizaines d’années. Cela n’exclue pas que certaines retombées soient attendues à plus court terme ; par exemple, la fabrication de capteurs de gaz ultrasensibles avec des nanotubes de carbone ou l’utilisation de particules nano-hybrides pour repérer et détruire sélectivement les cellules cancéreuses.
Les nanotechnologies (technologies de l’ultra-miniaturisation) sont nées au début des années 90 avec le développement de nouvelles méthodes permettant de manipuler les atomes et les molécules un par un comme on manipule des legos à l’échelle macroscopique. On peut ainsi réaliser des expériences et développer des procédés de fabrication d’objets et de machines plus ou moins complexes en manipulant seulement quelques atomes ou molécules (à la limite une seule molécule).
Les nanotechnologies sont donc avant tout une révolution scientifique et technique qui offre une nouvelle vision de l’ingénierie de la matière et du vivant.
Pourquoi ces nouveaux savoir faire sont-il si importants et suscitent autant d’enthousiasme dans tous les domaines de la physique, de la chimie, de la biologie et de la technologie ?
La première raison tient à la découverte de nouveaux phénomènes fondamentaux invisibles par les méthodes macroscopiques. Par exemple, suivre en temps réel le mouvement d’une protéine individuelle dans une cellule vivante constitue une nouvelle approche cinétique des fonctions biologiques de ces macromolécules.
La deuxième raison de cet engouement pour les nanotechnologies est liée à la miniaturisation ultime des machines et des composants. Nous sommes habitués à la miniaturisation de plus en plus poussée des composants électroniques. Mais les transistors actuels fonctionnent suivant le même principe que ceux d’il y a 50 ans.
Avec les nanotechnologies, il s’agit de fabriquer des moteurs, des détecteurs, des calculateurs, composés seulement de quelques atomes ou de quelques molécules, voire d’une seule molécule. A cette échelle, tout est nouveau. Il faut inventer de nouveaux outils, de nouveaux concepts, de nouveaux principes de fonctionnement.
    Face à de tels enjeux scientifiques et technologiques, les questions ne manquent pas. Comment prévoir les bouleversements qu’apporteront les nanotechnologies ? Au risque de décevoir certains, autant l’affirmer clairement, il est impossible d’imaginer quelles seront les implications des nanotechnologies dans 20 ou 30 ans. Les inventeurs du transistor en 1947 étaient bien incapables d’imaginer la révolution de l’information et de la communication qui allait découler de leur découverte.
Le plus souvent, les prédictions à long terme ne traduisent que le manque d’imagination de leurs auteurs. Par exemple, à quoi bon effrayer nos concitoyens avec d’hypothétiques nano-robots qui seraient capables de se reproduire et de prendre le contrôle des êtres humains. Des nano-objets bien plus redoutables existent déjà dans la nature avec les virus, capables non seulement de se reproduire mais, de surcroît, d’effectuer des mutations génétiques.
    Une autre difficulté des relations entre la science et la société apparaît lorsque les règles du jeu de la démarche scientifique et de la démarche médiatique sont par trop éloignées. Prenons le cas de l’éventuelle toxicité des nano-objets. Les premiers articles scientifiques publiés font état d’une très faible toxicité des fullerènes et des nanotubes de carbonne sur les cellules humaines macrophages. Mais dans le même temps, certains journalistes de radios n’hésitent pas à affirmer de manière fantaisiste que les nanotubes de carbone représentent un danger considérable, comparable à celui de l’amiante.
    Le débat sur les nanotechnologies est donc nécessaire. Il est urgent de s’y engager.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...