Le journalisme est une des professions les plus affectées par les nouvelles technologies… de l’information. Loin d’être une affaire à débattre lors de discrets congrès corporatistes, cela nous concerne tous, reporters, acteurs de la vie publique et public au sens large. C’est ce qu’explique un des pionniers en la matière Dan Gillmor dans un livre au titre provocateur: « We the Media, » (Nous les médias).

Au cœur du travail de Gillmor on trouve l’idée que ceux qu’il appelle les « Big médias » traitent l’information comme une conférence, ou comme un cours magistral (le détenteur du savoir propage la bonne parole) alors que les nouvelles TIC permettent de les aborder sous forme de séminaire ou, mieux encore de « conversation ». Tout le monde va devoir s’adapter.

San Francisco, Californie, le 27.oct.04

L’imprimerie, à laquelle nous devons livres mais aussi journaux, a bien donné lieu à la fin des clercs, aux prolégomènes de la démocratie et à la première production à la chaîne de l’ère industrielle.

L’importance du journalisme sur les sociétés modernes, et les transformations entraînées par les TIC dans cette profession en font un bon exemple de l’impact social des technologies de l’information.

La leçon est différente pour chaque groupe. Les « newsmakers » du monde des affaires, de la politique ou du spectacle doivent apprendre que le secret n’existe plus. « L’information est un océan et les personnalités publiques ne peuvent plus en contrôler les marées aussi facilement qu’ils ont pu le faire dans le passé, » écrit Gillmor. Un exemple parmi d’autres est fourni par les photos de cercueils des soldats morts en Iraq dont le Pentagone avait tout fait pour éviter la publication.

Les journalistes, quant à eux, doivent assimiler le fait que leur public en sait collectivement plus qu’eux sur tous les sujets qu’ils traitent. « Ceci est vrai par définition: ils sont beaucoup, et nous ne sommes souvent qu’un seul. Nous devons le reconnaître et, dans le meilleur sens du terme, utiliser leurs connaissances, » estime Gillmor. Nous avons maintenant des outils permettant la collaboration.

Chroniqueur du Mercury News, grand quotidien de la Silicon Valley, Gillmor est, entre autres choses, un des tous premiers journalistes à avoir ouvert un blog sur le site de son journal, à engager le dialogue avec ses lecteurs sur les sujets qu’il traite, à intégrer les informations qu’ils lui fournissent et à tenir compte de leurs opinions.

Le public, quant à lui, (sans doute vaut-il mieux dire « les publics »), « prend part à la conversation ». Cela vaut pour les blogueurs, ceux qui participent aux wikis, ou à la multiplication des sites de communautés de diverses natures sur lesquels on trouve des informations pertinentes. C’est ainsi que naît ce qu’il appelle le « journalisme multidirectionnel » ou tous azimuts.

Cette conversation est rendue possible par le fait que l’internet est un média que nous pouvons tous ensembles « lire et écrire » à la fois.

Pour Gillmor, il ne fait aucun doute que « Quand n’importe qui peut se transformer en écrivain au sens le plus large et pour une audience globale, beaucoup d’entre nous le feront. »

C’est ainsi qu’apparaîssent les « journalistes-citoyens » dont le rôle est essentiel pour Gillmor. « Les problèmes de notre temps sont trop complexes, plein de trop de nuances pour que les médias les plus importants les traitent correcement en raison des réalités économiques du journalisme moderne des grandes corporations. » Alors que les budgets consacrés aux informations tendent à l’assèchement, le public qui veut être informé doit et peut compter sur lui-même.

Pour que cela fonctionne, Gillmor est convaincu qu’il faut préserver, étendre, généraliser les systèmes ouverts (Open systems). La notion vient de la lutte menée par Linux, Wikipedia et certains programmes de distribution de musique de pair à pair pour limiter le poids de certaines entreprises (comme Microsoft, Apple, Oracle ou les compagnies de disques) qui abusent du droit de propriété intellectuelle.

Les systèmes ouverts promeuvent la participation de ceux qui sont sur les marges et non dans les centres de pouvoir.

Le chaos est toujours un risque, mais Gillmor n’y croît guère. Il craint plutôt une « sainte alliance » entre « l’industrie des loisirs—ce que j’appelle le « cartel de la propriété intellectuelle »—et le gouvernement ». Certains analystes croient que cette alliance est top puissance pour être facilement défaite. Il s’agit en tous cas d’un affrontement qui compte.

Gillmor vend son livre bien sûr, mais, cohérent avec ses théories, il permet aussi de le télécharger gratuitement sur la toile. Les usagers sont invités à le lire, pas à en abuser. Son éditeur O’Reilly et lui-même sont convaincus qu’ils contribuent ainsi à créer de l’intérêt pour le livre et, s’ils se trompent, qu’il vaut la peine de prendre le risque pour être cohérent avec les principes défendus.

We The Media

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...