Malgré la guerre, les difficultés économiques et la canicule, la légèreté est de retour… avec l’aide de la technologie. Il s’agit des « flash mobs », regroupements improbables de quelques dizaines de personnes qui se retrouvent l’espace d’un instant pour une action gratuite et parfois symbolique avant de disparaître.
San Francisco, Californie, 1er.sep.03
L’expression « flash mob » peut se traduire par « foule éclair » et ne se comprend en fait que dans le contexte du concept de « smart mobs » foules intelligentes (et potentiellement dangereuses) lancées l’an dernier par Howard Rheingold. « Les smart mobs sont faites de gens capables d’agir de conserve même s’ils ne se connaissent pas, » nous avait-il expliqué à l’occasion de la sortie de son livre. C’est possible grâce aux portables capables à la fois de communiquer et de traiter de l’information.
Les « flash mobs » qu’on a vu se manifester un peu partout pendant l’été n’ont rien de dangereux. Emily Turretini qui a son propre blog sur les messages textuels échangés sur les téléphones cellulaires estimes qu’il s’agit de « d’une mode estivale amusante. Chaque nouvelle flash mob s’efforce d’inventer le scénario le plus original, souvent dans un cadre typique comme peuvent l’être le Louvre ou Washington Square. »
Une des premières s’est réunie dans le grand magasin Macy’s de New York le 17 juin à la recherche d’un « tapis d’amour » pour leur commune. A Paris, après s’être entrenus tous ensembles avec des correspondants imaginaires à l’entrée du Louvre, ils se sont effondrés au sol l’espace de quelques secondes avant de se relever et de repartir en riant. A Berlin ils ont mangé des bananes de conserve. A Rio, tous vêtus de rouge ils ont arrêtés la circulation. Le 16 août, à Birmingham en Grande Bretagne, des individus se sont réunis à 12h12 précises pour faire converger leurs donations devant les bureaux d’Oxfam, une ONG qui se consacre aux problèmes du développement.
Apparues en mai/juin, les flash mobs sont déjà en pleine crise d’identité. Plusieurs acteurs ont manifesté leur crainte de voir le phénomène détourné à des fins commerciales, en partie du fait que certaines des manifestations ont eu lieu devant ou dans des magasins. Cheesebikini, un des principaux sites, invite à éviter les centres commerciaux qui n’ont nul besoin de pub. Il lui est même arrivé de conseiller d’éviter tout achat à l’occasion d’une flash mob.
La survie des flash mobs dépend des participants. « Si on conçoit les flash mobs comme une force de divertissement théâtral, alors les possibilités ne sont limitées que par l’imagination des organisateurs, » nous a expliqué Howard Rheingold par courriel. Il ne craint pas la dérive commerciale: « Le phénomène dépend des participants qui font cela volontairement et pour s’amuser. Si demain, une flash mob se révèle être une entreprise commerciale, je crois que les gens réagiront avec hostilité. »
Mais quel est le rapport entre cette mode estivale et le phénomène des Smart Mobs? « Mon livre a prédit que les gens utiliseraient l’internet et les communications mobiles pour organiser des actions collectives, » nous a-t-il répondu. « En ce sens, les flash mobs sont exactement ce que j’avais prévu, si ce n’est qu’elles sont une forme de divertissement urbain plutôt que d’expression politique. »
L’un n’empêche pas l’autre. Les anarchistes s’en mêlent et déclarent sur un de leurs sites, Infoshop.org, « nous pensons que la contestation devrait être créative et distrayante. […] Alors rejoignez-nous dans cette grande expérience pour prendre son pied dans la rue et faire que la contestation soit de nouveau amusante. »
« Les manifestations contre la guerre avant le déclenchement des hostilités en Iraq, celles qui ont eu lieu contre l’OMC à Seattle, Goteborg et Gênes, ont été le fait d’activistes utilisant des tactiques de flash mobs » estime Rheingold. Il en va de même de l’utilisation du SMS par la jeunesse coréenne pour peser sur les récentes élections ou des réunions de partisans de Howard Dean, le candidat américain à la candidature démocrate qui fait le plus grand usage de l’internet. Ils ont recours aux mêmes technologies et aux mêmes méthodes dans le même esprit.
Mais Rheingold est prudent: « Tous le groupes qui organisent une activité impliquant coopération n’ont pas nécessairement en tête des objectifs bénéfiques pour la société, » nous a-t-il écrit. Flash mobs et smart mobs peuvent très bien devenir violentes et antidémocratiques.
Le phénomène est d’autant plus important qu’il semble constituer une étape essentielle dans les relations entre le monde virtuel et le monde réel. « Dans le monde des communautés virtuelles, des millions de gens sont capables de participer à des conversations avec d’autres qu’ils n’ont pas rencontrés et qu’ils ne connaissaient pas auparavant pour la simple raison qu’ils ont en commun des intérêts spécifiques, » rappelle Rheingold. « Maintenant les gens utilisent le même média pour organiser des activités à la face du monde. » Réjouissons-nous de ce que les premières manifestations de ce nouveau phénomènes aient eu lieu sur un pas de danse.