L’internet peut être contrôlé et ne représente pas une menace sérieuse pour les régimes autoritaires. Cette affirmation susceptible de faire bondir ceux qui ont tendance à « croire » en la technologie est la conclusion d’un livre récemment publié aux États Unis sous le titre: Open Networks Closed Regimes (Réseaux ouverts, régimes fermés).

Berkeley, 15.mai.03

Pour Taylor Boas, doctorant en Sciences Politiques à l’Université de Californie à Berkeley, l’idée reçue (conventional wisdom) selon laquelle il ne serait pas possible de contrôler l’internet est fausse. « Ça n’est pas ce que nous avons trouvé au cours de nos enquêtes, » nous a-t-il déclaré.

Avec Shanti Kalathil, spécialiste de l’impact politique des technologies de l’information à la fondation Carnegie, il a étudié le cas de huit pays (Arabie Saoudite, Birmanie, Chine, Cuba, Égypte, Émirats Arabes Unis, Singapour, Vietnam).

Le contrôle réel est le plus souvent exercé de façon indirecte. Liée par ses accords avec l’organisation mondiale du commerce, et engagée dans une politique de libéralisation économique, la Chine a recours à une gamme de stratégies qui vont du contrôle du contenu (blocage de Google par exemple) aux mesures légales ou indirectes. Les cybercafés comme les fournisseurs d’accès sont responsables de ce que font leurs clients. Et les punitions exemplaires (auxquelles médias et gouvernement font toute la publicité voulue) servent à alimenter l’autocensure généralisée.

A l’inverse, le gouvernement cubain a choisi un modèle qui consiste à « n’accorder le droit d’accès presque exclusivement qu’aux institutions plutôt qu’aux individus, » peut-on lire dans Open Networks, Closed Regimes. A elles d’exercer le contrôle.

L’internet peut certes faciliter l’organisation de campagnes internationales d’opposition, mais Boas ne constate pas d’impact déterminant. Dans le cas de Cuba par exemple « il ne s’agit pas d’un changement qualitatif fondamental. L’internet permet une organisation un peu plus efficace, » mais il compte moins que la présence du lobby cubain à Washington.

A l’intérieur, l’impact positif pour l’opposition est généralement très limité pour au moins deux raisons: l’accès est réservé aux élites et ceux, individus comme institutions, qui ont accès, se gardent bien, pour le garder, de courir trop de risques.

Le point essentiel nous explique Boas, c’est que « Nous faisons une distinction entre contrôle parfait de la technologie (le cas où personne ne peut faire quoi que ce soit) et contrôle effectif ». Et d’ajouter: « Les régimes autoritaires n’ont pas besoin d’un contrôle parfait ». En général, ceux qui passent entre les mailles du filet ainsi tendu ne sont pas très dangereux.

Les deux auteurs vont encore plus loin quand ils montrent que les régimes autoritaires peuvent parfaitement tirer parti de l’usage de l’internet. Singapour est devenue un modèle de gouvernement électronique. « Beaucoup de pays de par le monde, aussi bien démocratiques qu’autoritaires, s’efforce de suivre [son] exemple, » écrivent-ils.

Cuba qui limite pratiquement l’accès aux institutions et aux entreprises étrangères a créé dès le début des années quatrevingtdix Infomed pour connecter les centres médicaux et permettre au personnel de consulter journaux électroniques et banques de données. Un tel réseau contribue à l’amélioration du service et, indirectement à la satisfaction du public, ce qui sert le régime.

Le commerce et la propagande sont également servis. Sa présence sur la toile permet au gouvernement d’attirer les touristes, vitaux pour l’approvisionnement en devises et, nous explique Boas, de « présenter au monde sa version des faits ». Tout internaute peut lire Granma, l’organe officiel du PC cubain.

« L’internet n’est pas en soi une menace pour les régimes autoritaires, » concluent Boas et Kalathil. « Plutôt que le coup de grâce de l’autoritarisme, la diffusion globale de l’internet représente à la fois une opportunité et un défi pour les régimes autoritaires ». Les chantres de la démocratie qui y voient une recette miracle se trompent donc.

Nous trompons-nous donc, à notre tour, sur la nature de l’internet? Pas forcément, mais on a sûrement tort d’en garder une image immuable. « La technologie initiale avait été conçue pour rendre difficile tout contrôle central, mais elle reposait aussi sur une grande flexibilité. » nous a expliqué Boas. « Des éléments de contrôle peuvent être ajoutés avec chaque innovation et avec chaque nouveau service. »

Carnegie Endowment for International Peace

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...